Éducation filles garçons : PARTIE 1
Avez-vous remarqué à quel point
on agit différemment
avec une fille et un garçon ?

Dans cet épisode, je reçois Anne Dafflon Novelle, docteure en psychologie sociale et experte de la différence d’éducation que l’on donne aux filles et aux garçons.
 
J’ai trouvé cette interview passionnante, si bien qu’elle a duré 1h30 ! J’ai donc décidé de la couper en deux parties.
Dans cette première partie, on va voir que, même si on ne souhaite surtout pas discriminer nos filles et nos garçons, nous avons, le plus souvent, quand même une attitude différente dans l’éducation qu’on leur donne… Dans cet épisode, nous verrons en quoi cette différence d’éducation fille garçon va influencer leur façon d’être et leur comportement quand ils seront plus grands.

Téléchargez votre PDF GRATUIT​

“7 conseils pratiques pour apaiser votre bébé en le massant

Laisser un commentaire

Ces articles peuvent également vous intéresser :

 

Différence d’éducation filles garçons

– Bonjour, et d’abord merci beaucoup d’avoir accepté cette demande d’interview.

– Bonjour, avec plaisir. 

– Est-ce que vous pourriez d’abord vous présenter ?

– Mon nom, c’est Anne Daffon Novelle. Je suis docteur en psychologie sociale et spécialiste, experte de cette question de la socialisation différenciée des filles et des garçons.

Quand j’étais petite, ce qui m’interpellait de voir à quel point il y avait une différence entre les hommes et les femmes, les garçons et les filles, mais aussi dans le sens de prendre le pouvoir.

Un truc tout bête, je me souviens quand j’étais à l’école primaire, on avait une maîtresse qui était donc la maîtresse principale. Il n’y avait que des femmes dans cette école. Et une année, un homme est venu. Il était enseignant, c’était son premier poste. Et l’année suivante, c’est lui qui a pris le poste de maître principal. Et je me suis demandé, mais pourquoi elle n’a pas continué ?

Ou alors, j’adorais lire et je lisais des ouvrages dans lesquels il y avait des héroïnes plutôt que des héros. Et souvent, elles étaient présentées comme des nunuches ! Et ça aussi c’est un truc qui m’énervait !

Donc je pense que c’est quelque chose qui me trotte dans la tête depuis passablement de temps.

Au départ, je me suis intéressée à la socialisation différenciée vraiment sous l’angle des filles : pourquoi elles sont péjorées à travers cette socialisation différenciée ? Et puis, j’ai eu 3 enfants : 2 filles et un garçon. Et avec le temps, ça m’a aussi amené à m’interroger : dans le fond comment on socialise les garçons ?

Et je me suis rendu compte avec le temps et d’autres types de recherches que les garçons subissaient tout autant que les filles le poids de cette socialisation différenciée.

Voilà, donc j’ai envie de dire que j’en suis arrivée là au fil d’une longue histoire en tout cas personnelle.

Qu’est-ce que la socialisation différenciée filles garçons ?

– Vous parlez beaucoup de « socialisation différenciée », c’est effectivement le thème d’aujourd’hui. Mais j’aimerais qu’on puisse définir un petit peu ce que c’est, parce que je pense que ce n’est pas forcément évident pour tout le monde.

– Oui tout à fait ! La socialisation différenciée, c’est le fait que notre société dans son ensemble ne socialise pas, n’éduque pas de la même manière les filles et les garçons.

Et on parle vraiment de socialisation parce que c’est dans un cadre large.

On peut voir ça aussi bien à travers différents axes de socialisation, par exemple au niveau des institutions : la famille, la crèche, l’école… Toutes ces institutions ne vont pas considérer de la même manière les filles et les garçons.

Vous avez aussi les objets de socialisation comme par exemple les habits, les jouets, les équipements sportifs… Là aussi, ce n’est pas la même chose qu’on va proposer aux filles et aux garçons.

Et puis, vous avez tout l’ensemble des représentations sociales, c’est-à-dire la manière dont les fictions, que ce soit la littérature enfantine, les dessins animés, les films ou même la publicité donnent des représentations différentes des garçons, des filles, des hommes et des femmes.

Donc cette socialisation différenciée c’est tout cet ensemble de choses.

Qu’est-ce que cela implique d’éduquer différemment les filles et les garçons ?

– Donc effectivement ça regroupe beaucoup de choses. Mais la question qui me vient c’est, en quoi c’est un problème cette socialisation différenciée pour nos enfants ?

– L’enfant va se construire en fonction de ce qu’il aura la possibilité de faire. Et, à travers cette socialisation différenciée, on ne va pas proposer les mêmes jeux, on ne va pas proposer les mêmes sports aux filles et aux garçons. Donc ils ne vont pas se construire de la même manière.

Et, par ailleurs, les enfants naissent avec seulement 10 % des connexions neuronales et les 90 % autres de ces connexions neuronales vont se faire en fonction des activités qu’ils vont avoir. Donc, plus ils ont la possibilité de tester des activités différentes, plus ils vont avoir de ces connexions neuronales.

Autre chose, c’est extrêmement difficile de dire « moi, c’est ça que je veux faire plus tard », si on n’a jamais vu quelqu’un de l’autre sexe en train d’exercer cette profession, en train de montrer ces sentiments ou bien en train de faire ce type de sport ou de jeu.

C’est en ce sens que la socialisation différenciée n’ouvre pas les possibles du genre pour les enfants.

Il semble moins gênant qu’une fille fasse « comme un garçon » plutôt que le contraire.

– Par contre, j’ai l’impression que si, par exemple c’est une petite fille qui veut faire du foot, ça va poser moins de problèmes que si c’est un garçon qui veut faire de la danse. Comment est-ce que vous expliquez ça ?

– Oui, vous avez tout à fait raison.

En fait, ça tient aux valeurs sociales accordées au masculin et au féminin. Sur l’échiquier social, dans notre société, actuellement et par le passé tout autant, le masculin a une valeur sociale supérieure au féminin.

Donc si la petite fille fait un « truc de garçons », quelque part, elle gagne en prestige social. Alors que, le garçon, s’il fait un « truc de filles », il perd en prestige social. Donc ça c’est une des explications.

Et puis l’autre explication, elle a trait à la peur que les parents peuvent avoir de l’homosexualité. Il y a cette représentation qui est complètement fausse – j’insiste vraiment là-dessus – mais les parents imaginent que, par exemple, si un garçon joue avec des « jouets étiquetés filles » durant l’enfance, il y a le risque que dans le futur il pourrait devenir homosexuel.

Alors, première chose, ça n’a strictement rien à voir. Ce n’est pas le fait de jouer avec tel ou tel type de jeu ou de faire tel ou tel type de sport qui va faire que, plus tard, on pourrait devenir homosexuel. Ça, ça n’a rien à voir, c’est la première chose.

Ce qui est intéressant de voir, c’est que cette crainte, les parents l’ont à propos du garçon qui va faire des « trucs de filles ». Par contre, si la fille demande par exemple pour Noël un train électrique ou bien si elle souhaite s’inscrire au foot, à aucun un moment, on va dire « Non, ma fille ne peut pas faire ça parce qu’elle risquerait de devenir homosexuelle. » Donc ça montre à quel point, cette crainte touche les parents à propos de leur fils en lien avec cette notion de virilité.

Qu’en est-il des différences biologiques entre les filles et les garçons ?

– Oui effectivement c’est très intéressant, mais je voudrais quand même qu’on s’arrête un moment sur les différences au niveau biologique entre les filles et les garçons. Parce qu’on peut se demander si ces différences ne peuvent pas expliquer les différences au niveau du comportement qu’on va voir après entre les hommes et les femmes. Alors bien sûr, il y a les différences au niveau des organes sexuels, mais aussi au niveau des hormones. On pense aussi souvent que les hommes sont forcément plus grands et plus forts physiquement que les femmes. Il y a tout ça et puis, j’ai même lu une étude qui dit que la composition du lait maternel est différente selon qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon. Qu’est-ce que vous pensez de tout ça ?

– Alors, je ne vais pas dire qu’il n’y a aucune différence au niveau biologique. Mais en fait, ce que les recherches mettent surtout en évidence quand on regarde les différences qu’il y a entre les enfants, c’est qu’il y a beaucoup plus de différences entre les filles et entre les garçons qu’il ne peut il y en avoir entre filles et garçons. C’est-à-dire que tous les individus sont différents les uns des autres. Ce n’est pas que les filles sont plus similaires entre elles et les garçons plus similaires entre eux.

Ça, c’est la première chose. Ensuite, vous avez parlé de l’influence des hormones. Bien sûr qu’il y a des influences des hormones, mais c’est quelque chose qui va beaucoup plus apparaître au moment de l’adolescence que durant l’enfance.

Si on revient à l’enfance, par exemple, il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons au niveau de la force physique, de la force qu’ils ont. Par contre, il y a une différence dans l’usage qu’ils font de leur force physique : les garçons vont beaucoup plus utiliser leur force que les filles. Mais là, c’est quelque chose qui est de l’ordre de l’influence sociale, et qui n’est pas quelque chose de l’ordre de l’influence hormonale, par rapport aux représentations que les parents ont des compétences des enfants.

Je vais vous présenter une petite recherche. Dans cette recherche, on a demandé à des parents de mettre leur enfant (d’à peu près 9 mois) sur un plan incliné, et de laisser leur enfant descendre à quatre pattes sur ce plan incliné. Qu’est-ce qu’on constate ? On constate que les parents vont laisser leur fils se débrouiller beaucoup plus tout seul pour descendre ce plan incliné. Alors qu’ils vont être beaucoup plus proches de leur fille, à la maintenir et être extrêmement précautionneux, comme s’ils anticipaient le fait qu’elle n’allait pas être capable physiquement d’exercer cette activité.

Donc en fait, à travers la manière dont les adultes, dont les parents vont se comporter différemment avec leur fils ou avec leur fille, ils vont projeter quelque chose sur leur enfant ; et ensuite, en fonction de ce que l’enfant aura perçu (parce que, bien entendu, l’enfant aura perçu ce que ses parents attendent de lui ou d’elle), et bien l’enfant va agir de manière différente.

Donc la plupart des différences de comportement que l’on observe entre garçons et filles sont de nature sociale, socioculturelle et pas du tout de type biologique ou hormonal.

Pourtant, la majorité d’entre nous n’a pas envie d’être discriminant envers les filles et les garçons…

– D’accord. Effectivement cette recherche est super intéressante puisque je pense que les parents n’ont pas conscience d’avoir un comportement différent avec leur fille ou avec leur garçon. Et d’ailleurs je pense qu’aujourd’hui la majorité des parents et des professionnels n’a pas envie d’être discriminant comme ça avec les filles et les garçons. Alors, comment vous expliquez que, malgré tout, on adopte, malgré nous, des comportements discriminants comme ça ?

– Mais vous avez tout à fait raison. Actuellement on est quand même dans une société où il y a vraiment cette idée d’égalité des chances et d’égalité tout court. Et on imagine, donc en termes de représentation, que l’égalité elle est acquise dans le monde de l’enfance. On imagine qu’il n’y a pas de différence dans la manière dont on agit face aux filles et face aux garçons.

Par contre, on est conscient que, oui, il y a encore des différences à l’âge adulte, que, oui les salaires ne sont pas les mêmes si c’est pour un homme ou si c’est pour une femme, que la chance ou la probabilité d’occuper des postes de niveau supérieur, ce n’est pas pareil pour un homme ou pour une femme.

Mais, c’est comme si ça apparaissait d’un coup de baguette magique au moment de l’entrée dans la vie adulte. Les gens ne font pas le lien que, s’il y a des différences observées entre les hommes et les femmes au niveau de la société, c’est quelque chose qui a un lien avec que justement cette socialisation différenciée vécue durant l’enfance.

Et les gens, s’ils agissent de manière différente face aux filles et aux garçons (en ayant absolument aucune conscience d’agir de manière différente), c’est simplement parce que, soi-même, on a baigné dans ce monde extrêmement stéréotypé durant notre propre enfance. Donc on ne fait que reproduire des choses que l’on a vécues soi-même. Mais sans forcément en avoir conscience.

Et puis, il y a autre chose en fait. Ce qu’il faut savoir, c’est que c’est quelque chose d’extrêmement subtil, les comportements différents qu’on va adopter face aux garçons et face aux filles. Et du coup c’est tellement subtil qu’on ne peut pas forcément imaginer que c’est quelque chose qui va avoir une influence.

Là aussi, je vais donner un exemple parce que les exemples sont toujours extrêmement parlants, sur la manière dont les filles et les garçons sont accueillis en crèche. Un garçon, on va lui poser plein de questions sur ce qu’il a fait. On va lui dire : « Salut, qu’est-ce que tu as fait ce weekend ? Ah, tu étais en forêt ? Tu t’es promené avec papa ? »… Donc ça va centrer le garçon sur l’aspect actif de ce qu’il a fait, et puis ça va l’amener à raconter. Alors que la fille, qu’est-ce qu’on va faire ? On va lui dire « Ouaouh ! Qu’est-ce que tu es mignonne ce matin ! Tu as une jolie jupe qui tourne ! » ou bien « Tu as assortis la couleur de tes collants à la couleur de tes barrettes ! ». Donc on va beaucoup plus axer notre discours aux filles sur quelque chose lié à l’esthétique.

Et effectivement garçons et filles ne vont pas grandir avec les mêmes expériences en lien avec ces deux domaines d’activité. La fille, elle va beaucoup plus être centrée sur l’aspect esthétique, alors que pour le garçon, ça va être beaucoup plus sur l’aspect activité, actif. Mais donc c’est quelque chose d’extrêmement subtil. On n’imagine pas qu’en disant simplement une phrase différente à un garçon ou à une fille, ça puisse avoir une influence pareille. Parce que, c’est vraiment tout un réseau différent d’influences.

D’ailleurs, quand je parle de l’esthétisme et puis de l’activité, ce n’est pas seulement dans les phrases prononcées par les professionnels de la petite enfance en crèche. C’est aussi par exemple, dans les jouets que vous allez trouver au « rayon filles » ou au « rayon garçons ». Vous allez avoir beaucoup plus des jouets liés à l’esthétique et puis à la créativité du « côté filles » et puis des jouets qui incitent à l’activité « côté garçons » par exemple.

Dès la naissance, on considère la fille comme fragile et mignonne et le garçon comme grand et costaud

– Oui c’est ça. J’ai même lu que dès la naissance, et même avant la naissance les parents se comportent différemment selon s’ils vont avoir une petite fille ou un petit garçon. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on demande déjà quand la femme est enceinte si ça va être une fille ou un garçon. Est-ce que vous pouvez expliquer un petit peu les recherches qui ont été faites à ce niveau-là ?

– Oui tout à fait, il y a pas mal de recherches qui ont été faites dans ce domaine-là. Ou même par exemple pendant la grossesse. C’est-à-dire que si un bébé donne des coups de pieds, si c’est un garçon, on va dire « Ouaouh ! Ça va être un futur footballeur ! » par exemple. C’est-à-dire que, très rapidement, les parents vont projeter des choses sur leur enfant, ils vont interpréter les comportements de leur enfant différemment selon s’ils savent si c’est une fille ou un garçon. Et, en retour, et bien ces projections vont agir comme des espèces de prophétie sur les enfants eux-mêmes, et ça va transformer les enfants.

Il y a pas mal de recherches qui ont été faites sur la base du bébé x. Donc le bébé x, c’est qu’on utilise le même enfant, en disant une fois « c’est un garçon » et l’autre fois « c’est une fille », pour être sûr que l’influence ne provient pas de l’enfant lui-même. Un exemple de recherche qui est faite sur un jeune enfant, 9 mois environ. Donc ce jeune enfant est habillé de façon neutre et il est assis dans une petite chaise bébé. Et face à lui, il y a une espèce de boîte. Et de cette boîte, tout d’un coup, il y a une sorte de diable qui sort. Et cet enfant se met à pleurer. On présente cette vidéo aux adultes, et on leur demande « à votre avis, pourquoi cet enfant pleure ? » Donc c’est la même vidéo, c’est le même bébé, c’est les mêmes réactions. Sauf que, à la moitié des participants, on va leur dire que cet enfant est une fille, et à l’autre moitié des participants, on va dire que c’est un garçon. Donc dans un cas, on va leur demander « Pourquoi est-ce qu’elle pleure ? » Et dans l’autre cas « Pourquoi est-ce qu’il pleure ? » Alors, quand le bébé est présenté comme un garçon, les participants vont avoir tendance à dire qu’il pleure parce qu’il est en colère. Si l’enfant est présenté comme une fille, elle pleure parce qu’elle a peur. Même enfant ! C’est le même enfant, c’est la même réaction ! Mais l’interprétation que l’on donne de la réaction va être fondamentalement différente selon que l’on sait si c’est un garçon ou bien une fille. On ne va pas projeter la même émotion à un garçon qu’à une fille.

Autres recherches qui sont basées sur des enfants encore plus petits. Donc c’est une recherche qui est faite avec des parents dont c’est le premier enfant. Cet enfant il a 24 heures, donc il est vraiment tout petit. Et on va demander aux parents de décrire leur enfant. Alors bien sûr, chaque parent va décrire son propre enfant, mais néanmoins c’est une population de nouveau-nés qui est similaire quant au terme de naissance, à la taille, au poids et puis au niveau physique. Et là, les parents d’un petit garçon vont le décrire comme grand, costaud, avec des traits marqués, alors que les parents d’une petite fille vont la décrire petite, mignonne, avec des traits fins. Là aussi, c’est vrai, c’est avec des enfants différents, mais néanmoins à l’âge de 24 heures, on ne peut pas lire sur le visage de l’enfant qu’il s’agit d’un garçon ou qu’il s’agit d’une fille. Donc c’est simplement parce qu’on sait que c’est un garçon ou que c’est une fille que l’on va projeter des descriptions différentes sur l’enfant. Et si on imagine que son enfant est petit, fragile et mignon, on va effectivement le laisser faire moins de choses que si on pense qu’il est grand, costaud, et fort. Voilà, c’est une autre manière de comprendre pourquoi, très rapidement, les parents vont adopter des comportements différents face à leur fille et face à leur garçon.

Comment se développe l’identité sexuée ? Comment l’enfant comprend ce que veut dire être une fille ou un garçon ?

Maintenant, je pense qu’il y a quand même autre chose qu’il faut savoir. C’est qu’il faut quand même comprendre comment fonctionne le développement de l’enfant par rapport à ce qui s’appelle la construction de l’identité sexuée. Donc la construction de l’identité sexuée, c’est comment l’enfant comprend ce que ça veut dire être un garçon ou être une fille.

Très rapidement, on va dire à l’enfant « Tu es un garçon » ou « Tu es une fille ». Donc l’enfant, ok, il va savoir qu’il est un garçon ou elle est une fille. Par contre, qu’est-ce qui fait qu’on est un garçon ou qu’on est une fille ? Ça, c’est un processus qui va prendre plusieurs années chez l’enfant, qui va prendre à peu près 7 ans. C’est-à-dire qu’au début les enfants sont convaincus d’être un garçon ou d’être une fille en fonction des indices socioculturels extérieurs. En clair, pour l’enfant c’est, « je suis une fille parce que j’ai des cheveux longs, j’aime le rose, je joue à la poupée et je mets des robes » ou « je suis un garçon parce que j’ai des cheveux courts, je porte des pantalons et je joue aux petites voitures » Donc pour les enfants, c’est vraiment le socioculturel qui fait le sexe.

Et c’est plus tard dans le développement que l’enfant va comprendre que, non, c’est l’appareil génital qui fait qu’il est un garçon ou elle est une fille. Bien entendu, les enfants savent qu’il y a des zizis et zézettes – je reprends à dessein le vocabulaire des enfants. Mais pour autant, ce n’est pas ça qui fait qu’on est un garçon ou on est une fille. L’enfant a intériorisé que c’est l’appareil génital qui fait qu’on est un garçon ou qu’on est une fille seulement vers l’âge de 5-7 ans. C’est vraiment un processus cognitif, donc là aussi, il y a des enfants qui vont atteindre ce dernier stade qui s’appelle le stade de « constance de genre » avant d’autres enfants. C’est pour ça que tout le monde n’y arrive pas à 5 ans ou qu’à 7 ans, il y a des enfants qui n’ont pas encore terminé ce développement de l’identité sexuée.

Mais, ce que ça met en évidence, c’est que, comme c’est le socioculturel qui fait le sexe et qu’en même temps les enfants savent qu’ils sont un garçon ou qu’elles sont une fille, et qu’en parallèle, il y a ce qu’on appelle le développement du jugement moral chez l’enfant, c’est-à-dire que on ne doit pas tricher, pour les enfants, c’est extrêmement important d’être perçu comme un garçon ou une fille. Enfin d’être perçu comme l’enfant que l’on sait que l’on est. Et, les enfants, comme ils sont convaincus que c’est le socio-culturel qui fait le sexe, et bien, ils imaginent qu’en changeant de vêtements, en changeant de jouets, on va changer de sexe.

Par exemple, si vous mettez un homme face à des enfants de de 3-4 ans, et que, devant ces enfants, cet homme se change. Il enlève ses habits, il met une robe, il met du rouge à lèvres, il met une perruque. Et bien, pour les enfants, cet homme est devenu une femme. Puisque c’est l’habit qui fait le sexe. Maintenant, ce n’est pas quelque chose de persistant, puisque, de nouveau, si cet homme se change devant les enfants, donc il enlève sa perruque, il remet ses habits d’avant, et bien il redevient un homme. C’est-à-dire que jusqu’à l’âge de 5 – 7 ans, les enfants sont convaincus qu’on peut changer de sexe en fonction des situations.

Mais ce n’est pas pour autant qu’ils ont envie de changer de sexe. Ils ont envie qu’on les voit, qu’on les perçoive comme étant les enfants qu’ils sont. Donc vers l’âge de 3 – 4 ans, les enfants vont adopter un comportement extrêmement stéréotypé en surutilisant les indices de manière à ce que les autres ne se trompent pas. Ça correspond par exemple à ce que l’on appelle la période rose des filles. C’est le moment où les filles veulent absolument mettre du rose, elles veulent mettre des jupes qui tournent, vraiment une surabondance des indices qui vont faire qu’on va les identifier comme étant une fille. Ou bien ça va être aussi le moment où, alors que le garçon acceptait de mettre ce qu’on lui demandait de mettre le matin, là, il va refuser de mettre par exemple le jean de sa grande sœur sous prétexte qu’il a une petite fleur brodée sur la poche arrière !

C’est là où les enfants vont vraiment devenir extrêmement stéréotypés. On peut dire vraiment des prototypes de vrais petits mecs ou de vraies petites nanas. Donc du coup, les parents vont observer leurs enfants, ils vont voir qu’ils sont extrêmement stéréotypés et, comme ils ne savent pas comment fonctionne ce développement de l’identité sexuée, et bien pour eux c’est juste quelque chose qui est dû à la nature, c’est-à-dire quelque part, c’est un peu dans l’ADN des enfants que d’adopter ce comportement stéréotypé. Alors que non, c’est simplement quelque chose de socio-culturel.

Est-ce notre société de consommation qui fait que la fille et le garçon ont besoin de montrer qu’ils sont filles ou garçons ?

– Je me demande si on voit ces mêmes étapes de l’identité sexuée dans des sociétés traditionnelles où les stéréotypes de genre sont peut-être moins marqués ou est-ce que c’est vraiment typique de nos sociétés ?

– Ce développement par différentes phases de l’identité sexuée, c’est quelque chose qu’on va voir partout. Mais la surutilisation de ces indices socio-culturels, bien entendu, on va surtout la voir dans nos sociétés où actuellement il existe une surabondance d’indices.

Ne serait-ce que si on remonte 30-40 ans en arrière, les enfants ils étaient un peu tous…, enfin, je veux dire, oui, il y avait des jeans et des t-shirts. Mais ce n’était pas des jeans avec une coupe différente pour des enfants filles ou bien des enfants garçons. Ou bien même le t-shirt, c’était juste un t-shirt tout simple.

Alors que maintenant, au niveau des vêtements, même si vous allez dans le rayon bébé, vous allez voir que c’est une gageure de trouver un petit body juste tout blanc. Il aura soit une petite fleur brodée, soit un petit camion imprimé pour symboliser que c’est un truc qui est destiné à une fille ou qui est destiné à un garçon. Ou bien, si vous regardez les jouets, avant on apprenait tous à faire du vélo avec un petit vélo rouge ou un petit vélo bleu neutre basique avec des petites roues derrière. Alors que maintenant, ce petit vélo, ça va être extrêmement difficile de le trouver. Parce que vous allez trouver soit le vélo rose Barbie, soit le vélo Spiderman avec des flammes de partout qui va mettre en évidence que c’est un vélo qui est destiné aux filles ou destiné aux garçons.

Et les enfants ne vont pas se tromper par rapport à ça. C’est-à-dire que ça va être extrêmement difficile de faire accepter à un garçon d’apprendre à faire du vélo sur le vélo rose Barbie de sa grande sœur ! Parce que, dans le fond, notre société de consommation a vraiment compris comment fonctionnait le développement de l’enfant. Et puis elle a compris qu’en segmentant les objets, en segmentant les jouets, en segmentant les habits, et bien on va en vendre deux fois de plus ! Par exemple, les parents qui ont eu une fille vont racheter un deuxième vélo lorsque leur fils va apprendre à faire du vélo, parce que, lui, il ne voudra pas grimper sur ce vélo rose Barbie ! En fait, c’est vraiment une influence de notre société de consommation.

– Donc si je comprends bien, c’est vraiment le fait que nos enfants grandissent dans cette société hyper genrée qui fait qu’ils vont avoir ce besoin de marquer d’autant plus leur identité sexuelle avec des stéréotypes avant 5 – 7 ans, en tout cas avant d’avoir compris qu’ils sont un garçon ou une fille et qu’ils le resteront quoi qu’il arrive.

– Oui, en fait c’est surtout qu’ils vont s’interdire d’utiliser quelque chose qui est étiqueté du sexe opposé, parce que dans leur esprit, utiliser quelque chose étiqueté du sexe opposé signifie « je deviens cette personne du sexe opposé ». Un garçon de 3 – 4 ans, quand il monte sur un vélo rose Barbie, il est convaincu qu’il devient une fille. Mais, en même temps, il est convaincu aussi qu’il n’a pas le droit de faire ça ! Parce que c’est moralement inacceptable que de tricher avec ça et de montrer aux autres que non, il n’est pas un garçon, il est une fille.

Donc c’est ça en fait, c’est une espèce de cercle vicieux. D’un côté, notre société de consommation pour vendre 2 fois plus d’objets, a sursexué les objets, avec des indices comme des petites fleurs ou bien fabriquer des vélos plus sportifs côté garçons que côté filles, ou mettre un porte-bébé sur le vélo de la petite fille, etc. Et d’un autre côté, ça a eu comme influence du côté des enfants de vraiment s’interdire de plus en plus fortement d’utiliser les objets étiquetés du sexe opposé. Donc du coup, de se cloisonner et de tester des activités uniquement en lien avec son propre sexe. En fait, c’est ça, c’est vraiment un cercle vicieux.

Comment faire pour éviter que nos enfants aient des comportements si stéréotypés ?

– Du coup, on ne peut pas dire à notre petit garçon : « Mais ne t’en fais pas ! Tu peux utiliser le vélo Barbie ! Tu resteras un petit garçon quoi qu’il arrive ! » Il n’en est pas à ce niveau-là, c’est ça ?

– (Rires) Alors oui, on peut le lui dire, mais ce n’est pas parce qu’on lui dit qu’il va l’intérioriser. Parce que c’est un processus cognitif, donc c’est quelque chose qui va prendre du temps en terme de développement. L’idéal c’est vraiment que les enfants puissent utiliser des objets neutres, ça veut dire où il n’y a pas une décoration qui est typique d’un sexe ou d’un autre. Ou alors, malheureusement à cause de notre société de consommation qui a sursexué les objets, si on souhaite que l’enfant puisse faire un sport ou une activité habituellement étiqueté du sexe opposé, une des manières de faire pourrait être d’utiliser les codes sexués de l’enfant pour justement décorer l’objet en question pour que l’enfant les utilise.

– Donc, si on reprend cette histoire de petit garçon avec le vélo rose Barbie de sa sœur, c’est l’accompagner pour customiser ce vélo et en faire pourquoi pas un vélo bleu avec les stickers superman ou autre ?

– C’est exactement ça. Et puis, alors ça, c’est jusqu’au moment où l’enfant aura atteint ce qu’on appelle le stade de « constance de genre », donc vers l’âge de 5 – 7 ans. Et puis, un petit peu plus tard, entre l’âge de 7 et 12 ans, on peut leur expliquer aux enfants, comment ça fonctionne.  

A partir de 7-12 ans, l’enfant peut comprendre à quel point notre société a créé des codes stéréotypés entre les filles et les garçons

Je me souviens d’avoir fait des ateliers avec des catalogues de jouets avec des enfants un petit peu plus âgés, 7 ans et plus. On leur donnait donc des catalogues de jouets et puis on leur demandait de compter combien il y avait de garçons ou bien combien il y avait de filles prises en photo dans ces catalogues, et qu’est-ce qu’ils étaient en train de faire, ces garçons et ces filles. Et puis, par exemple, ils voyaient que les garçons pouvaient jouer aux Legos alors qu’on ne voyait pas de fille jouer aux Legos. À un moment donné, il y avait toujours un enfant, une fille en l’occurrence, qui disait : « Mais c’est pas juste ! Moi aussi j’ai envie de jouer aux Legos ! » Et du coup, on leur montrait comment notre société de consommation avait utilisé tous ces codes pour vendre deux fois plus d’objets. Et puis alors là, c’était eux qui avaient plein d’imagination pour dire « Alors comment est-ce qu’on peut faire pour ne pas avoir besoin d’acheter un vélo, comment est-ce qu’on peut customiser le vélo ? » etc. C’était vraiment intéressant de voir à quel point les enfants avaient l’esprit vif, et ils comprenaient rapidement ces choses.

Comment les enfants se créent des étiquettes « pour une fille » et « pour un garçon » ?

Mais, on ne peut pas leur expliquer ça avant qu’ils aient terminé la construction de leur identité sexuée. En fait, ce qu’on peut faire avant qu’ils aient terminé la construction de l’identité sexuée, si on souhaite leur ouvrir les possibilités du genre, c’est leur proposer moult modèles différents de filles et de garçons en train de faire plein de choses différentes.

Parce que, dans le fond, si, à un moment donné, les enfants ont mis une étiquette « ça c’est pour une fille » ou bien « ça c’est pour un garçon », c’est parce qu’il y a eu un certain processus qui s’est passé dans leur tête. Depuis leur naissance quasiment, ou en tous cas depuis l’âge de 6 mois, ils vont catégoriser chaque nouvel objet, chaque nouvelle activité en fonction de cette catégorisation « masculin » donc « c’est pour un garçon ou c’est pour un homme » / « féminin », « c’est pour une fille ou pour une femme ». Et cette catégorisation va se faire sur la base de l’observation et de statistiques.

Donc les enfants font des statistiques, sans se rendre qu’ils font des statistiques ! C’est-à-dire que, s’ils voient une activité ou un objet beaucoup plus souvent associé aux femmes et aux filles et en même temps très peu souvent associé aux hommes et aux garçons, ils vous l’étiqueter comme « activité féminine ». Inversement pour les « activités masculines ». Et ils vont les étiqueter comme « activités neutres » si tout le monde fait cette activité. Par exemple, tout le monde mange, donc ce n’est pas quelque chose qui va être étiqueté comme « masculin » ou « féminin ». Mais si on prend par exemple l’activité vaisselle, ils vont l’étiqueter comme étant féminine. Pourquoi ? Parce que, dans la publicité, la plupart du temps, on va voir des femmes en train de faire la vaisselle ou en tous cas d’utiliser les produits ménagers. Alors que les hommes vont plutôt être présentés comme étant les experts qui sont capables de créer la machine ou de réparer la machine. Si on regarde dans la littérature enfantine, la plupart du temps, là aussi, ça va être des mamans, tabliers noués autour de la taille en train de faire la vaisselle à la main – parce que le lave-vaisselle n’est pas encore entré dans la littérature enfantine ! Ou bien, si vous regardez dans les catalogues de jouets, la petite cuisinière avec la vaisselle, le petit évier, c’est quelque chose qui, le plus souvent, sera vendu au « rayon filles », pas vendu au « rayon garçons » et qui aura des « couleurs étiquetées filles » comme le rose, le violet, les paillettes… Donc, ça veut dire que cette activité vaisselle, à cause justement de toutes ces statistiques, donc le nombre de fois où elle sera associée à des filles et à des femmes, même si ce sont des individus fictifs, donc qui n’existent pas, ça fait rien, pour les enfants, ça va suffire pour qu’ils soient étiquetés « pour les filles » ou bien « pour les femmes ».

Et, ce qu’on peut rajouter, c’est que c’est vraiment la fiction qui est beaucoup plus importante que la vraie vie pour les enfants durant les premières années de leur vie. Si on imagine par exemple un enfant qui vit dans une famille où papa et maman se partagent les tâches ménagères, et c’est à tour de rôle qu’ils prennent en charge cette activité vaisselle. Et bien à un moment donné l’enfant va quand même dire à son père : « T’as pas le droit de faire la vaisselle ! T’es pas une maman ! » Pourquoi ? Parce que justement, dans la fiction, il aura vu pléthore de modèles de filles et de femmes associées à cette activité et même si dans la vraie vie, il ou elle aura vu son propre père, donc quelqu’un qui compte beaucoup émotionnellement pour lui, ça ne va pas suffire à contrebalancer ! Parce que c’est vraiment la quantité de modèles qui est importante par rapport à cet étiquetage « masculin » – « féminin ». Beaucoup plus que la valeur émotionnelle des modèles. C’est aussi cet aspect-là qu’il faut bien comprendre par rapport au développement de l’enfant.

Comment contrecarrer ces étiquettes ? Comment accompagner notre enfant à comprendre que les filles et les garçons peuvent faire les mêmes tâches ?

– Et donc si on reprend cet exemple, et même on va encore plus loin en disant que, dans cette maison, il n’y a que le papa qui fait la vaisselle et la maman ne la fait pas. Puisque montrer ne suffit pas, comment ce papa peut expliquer à son fils qu’il reste un homme malgré tout, même si son fils a l’impression que faire la vaisselle est plutôt une tâche féminine ? Est-ce qu’on peut faire quelque chose ou est-ce qu’il faut attendre ce fameux âge de 5 – 7 ans pour que le petit garçon puisse comprendre cette notion ?

– Non, alors il suffit de lui montrer d’autres modèles ! Parce que ça existe quand même ! Vous pouvez trouver dans la littérature enfantine des exemples où vous avez un papa qui reste à la maison et qui s’occupe de son enfant. Donc c’est mettre un coup de projecteur sur d’autres modèles d’hommes associés par exemple à cette activité vaisselle. Pour que l’enfant prenne conscience qu’il y a d’autres modèles d’hommes associés à l’activité vaisselle. C’est-à-dire lui montrer vraiment des contre-modèles.

– D’accord ok. Je voudrais qu’on revienne un petit peu sur les jouets…

Suite dans la 2ème partie…

Voilà, c’est la fin de la 1ère partie d’interview d’Anne Dafflon Novelle et vous retrouverez la 2ème partie de cette interview dans le prochain épisode audio. On verra comment faire pour que nos enfants puissent développer leur plein épanouissement sans être limité par ces stéréotypes qu’on leur inculque malgré nous.