Mais là vous parliez du côté des filles, maintenant on peut aussi se dire que du côté des garçons, c’est le contraire. C’est aussi proposer aux garçons des modèles où il va y avoir cette notion de coopération et puis cette notion associée aux émotions.
En fait, ce qui est important c’est que filles comme garçons puissent expérimenter plein de choses différentes. Et des choses qui sont entre guillemets étiquetées filles et étiquetées garçons. Donc quand je dis étiquetées filles ou étiquetées garçons, c’est-à-dire qui, dans notre société, sont plus souvent proposées aux unes par rapport aux autres. Et en fait c’est dans cette diversité de comportements, d’expérimentations différentes que les filles et les garçons auront pu avoir durant l’enfance qu’ils vont vraiment développer des compétences extrêmement diverses qui vont leur être utiles dans leur avenir professionnel comme dans leur avenir privé.
Parce que c’est ça aussi, c’est que, comment dire, la société formate plutôt les garçons à avoir un futur professionnel et puis les filles à avoir un futur dans la vie privée. Si on pense qu’un petit garçon, on va lui dire « non, ne joue pas à la poupée, c’est pas pour les garçons ! » Mais par contre, le petit garçon une fois qu’il est devenu adulte et papa, on a envie que cet homme s’investisse auprès de son enfant, lui change sa couche, lui donne le bain et puis l’emmène à la crèche. Et du coup, on voit qu’il y a vraiment un décalage là aussi ! C’est-à-dire qu’enfant, il n’aura pas eu le doit de jouer à la poupée, par contre, à l’âge adulte, on aimerait bien qu’il s’occupe de ses propres enfants ! Donc c’est tout cet aspect-là qui est à mettre en perspective et à penser. Vraiment essayer de réfléchir quand on dirait à un enfant « non, fais pas ça », parce que, spontanément lui dit ça, ou bien on fronce les sourcils quand le garçon dit qu’il aimerait faire de la danse classique ou ce genre de choses, et se dire, mais dans le fond, pourquoi pas ? Qu’est-ce que ça peut lui amener comme expérience positive pour sa construction d’individu, pour son futur, que ce soit son futur dans sa vie privée ou bien dans sa vie professionnelle.
– Oui j’allais venir justement au petit garçon. Donc maintenant si je suis maman d’un petit garçon, à quoi est-ce que je dois faire attention au quotidien dans mon comportement, dans mon attitude pour éviter ces stéréotypes-là ?
– Bon alors, il y a vraiment l’aspect des émotions. C’est important que les garçons puissent aussi verbaliser ces aspects liés aux émotions. Parce que si vous regardez les objets qui sont proposés aux garçons, que ce soit dans les magasins de jouets ou bien c’est encore plus prégnant au niveau de la publicité, vous verrez à quel point on est dans un monde de destruction, dans un monde de guerre, dans un monde de compétition et beaucoup moins dans un monde de collaboration. Et pour la vie future, je ne suis pas persuadée que la destruction ou se battre contre l’autre, ce soit systématiquement positif. Parfois collaborer avec l’autre, ça peut être aussi quelque chose de tout à fait utile et positif.
Et puis d’être capable de mettre des mots sur ses émotions, de les verbaliser, d’être capable de dire comment on se sent, comment on aimerait que ce soit… Parce que, au niveau des hommes et des femmes, c’est souvent un manque de communication qu’on va constater à l’âge adulte. Mais simplement parce les garçons n’ont pas été élevés pareil. Ils n’ont pas eu l’habitude d’être confrontés aux émotions.
Si on regarde les statistiques par rapport aux présences de garçons et filles dans les cabinets de psys durant l’enfance, on va voir que c’est beaucoup plus des garçons qu’on va emmener consulter plutôt que des filles. Mais plutôt en lien avec des problèmes de comportement. Parce que le garçon dérange, donc on va l’emmener consulter parce que son comportement n’est pas forcément adéquat, qu’il est agressif ou ce genre de choses. Donc ça c’est à un âge où ce n’est pas l’enfant qui fait le choix d’aller consulter. C’est l’enseignant qui va demander aux parents d’emmener leur enfant. Ou bien alors c’est les parents qui n’en peuvent plus avec leurs enfants et consultent.
Si on regarde ces mêmes statistiques par rapport au monde de l’adolescence, ce qu’on va observer, c’est que ça va être beaucoup plus une population de jeunes filles, de jeunes femmes, d’adolescentes, qui vont choisir de consulter. Parce qu’elles éprouvent en mal-être. Donc de verbaliser leur mal-être chez un psy. Alors que les cabinets de psys pour cet âge-là vont plutôt être désertés par les garçons. Parce que, eux, ils auront perçu que verbaliser son émotion, c’est un truc de filles. Donc c’est pas un truc qui est destiné aux garçons.
Et puis, il y a un truc alors là totalement dramatique qu’on peut observer dans les statistiques, c’est que si on regarde quelle est la première cause de mortalité chez les adolescents, on va constater que c’est le suicide. Donc ça c’est dans nos sociétés occidentales. Mais si on regarde à travers des lunettes genre, on va voir que c’est la première cause de mortalité chez les adolescents de sexe masculin, mais pas chez les adolescentes. Ça veut pas dire qu’elles ne sont pas touchées par la problématique suicidaire. Il y a plus de tentatives de suicide chez les filles et puis de suicides entre guillemets « réussis » chez les garçons, donc de suicides qui amènent à la mort.
Oui parce qu’à un moment où il y a un mal-être comme souvent à l’adolescence pour les garçons, aller consulter simplement, aller exprimer ce qui ne va pas, c’est plutôt perçu comme étant quelque chose destiné au sexe opposé. Donc du coup ils vont pas le faire.
Donc on voit que cette socialisation différenciée durant l’enfance a vraiment des implications qui peuvent être tout à fait dramatiques plus tard.