Éducation fille garçon : PARTIE 2
comment faire pour que votre enfant
subisse le moins possible
les stéréotypes de genre ?

Voici la 2ème partie de l’interview d’Anne Dafflon Novelle, est docteure en psychologie sociale et experte de la différence d’éducation entre les filles et les garçons.
Si ce n’est pas déjà fait, je vous invite à écouter l’épisode précédent qui vous permettra de mesurer à quel point, même inconsciemment, on a une attitude complètement différente quand on éduque un petit garçon ou une petite fille. Vous comprendrez aussi en quoi cette attitude a une influence sur le développement de notre enfant.

Dans cette 2ème partie, on va voir comment aider notre enfant à développer son plein potentiel en subissant le moins possible ces stéréotypes de genre.

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Éducation filles garçons : avez-vous remarqué à quel point on agit différemment avec une fille ou un garçon ?

Dans cet épisode, je reçois Anne Dafflon Novelle, docteure en psychologie sociale et experte de la différence d’éducation que l’on donne aux filles et aux garçons.
Dans cette première partie, on va voir que, même si on ne souhaite surtout pas discriminer nos filles et nos garçons, nous avons, le plus souvent, quand même une attitude différente dans l’éducation qu’on leur donne…

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Éducation fille garçon : nous sommes conditionnés à choisir des jouets selon le sexe de l’enfant

– Je voudrais qu’on revienne un petit peu sur les jouets parce que ça va souvent bien plus loin que les fameuses différences de couleurs, donc le rose pour les filles et puis le bleu pour les garçons, c’est-à-dire que les jouets qu’on va proposer aux filles et aux garçons ne vont pas les faire réfléchir, penser et se développer de la même façon, ce qui fait qu’ils ne vont pas développer les mêmes compétences au travers de ces jouets. Est-ce que vous pouvez expliquer un petit peu toutes ces choses-là ?

– Il y a plusieurs choses. Il y a déjà faire un examen de ce qu’on propose aux enfants à travers les catalogues de jouets ou simplement dans un magasin de jouets. Vous allez voir que dans un magasin de jouets, il y a un matraquage au niveau du bleu et du rose. Ça montre très clairement aux enfants que, non, ils n’arrivent pas au monde dans un univers mixte, mais que le monde est très cloisonné selon fille ou garçon. Donc ça, c’est la 1ère chose.

Ces jouets permettent de développer des compétences différentes

Et puis après, il y a une autre chose qui est extrêmement importante à analyser : c’est les compétences qu’on développe selon le type de jeux avec lesquels on va jouer. Si on regarde les jouets qui sont vendus au « rayon garçons », très souvent, vous allez avoir des jouets où vous partez avec une boîte où il y a plein de petites pièces et il va falloir créer quelque chose. Que vous alliez Lego technics ou bien avec les Mécanos, c’est vraiment l’idée de « il n’y a rien et je crée quelque chose ». Donc avec cette idée-là, c’est « je commence et je termine ». Donc il y a vraiment cette idée de réussite, de terminer, qui est beaucoup plus présente côté garçons que côté filles.
Ensuite, pour construire une fusée par exemple avec des Lego technics, vous allez utiliser plein de petites pièces que vous allez assembler dans un espace en trois dimensions. Donc du coup, ça va être droite, gauche, devant, derrière, dessus, dessous… Et avec ça, on va développer des compétences qui sont beaucoup plus spatiales, techniques, mathématiques. Et effectivement, c’est grâce à ça que, bien souvent, les garçons, même dans leur jeune âge, vont être meilleurs en géométrie que les filles. Pas du tout parce que c’est inscrit dans leur ADN, mais simplement parce qu’ils ont eu davantage de possibilités de s’exercer dans un univers en trois dimensions.

Ensuite, si vous vous retournez côté filles et que vous regardez ce qu’on leur propose comme type de jouets, ça va être beaucoup plus des jouets où il y a une idée de collaboration qui va s’instaurer. Si vous pensez à la petite épicerie ou bien avec le fait de faire la cuisine, mettre la table, etc., très souvent l’enfant ne va pas jouer tout seul. Il va jouer plutôt avec quelqu’un, par exemple avec un adulte. Et du coup, l’enfant va verbaliser, va parler. Typiquement, quand on est dans une épicerie, on parle de ce qu’on veut acheter, rendre la monnaie, etc. Donc l’enfant va être beaucoup plus souvent corrigé. Et là aussi, c’est simplement à cause de cette expérience que les petites filles vont avoir une acquisition du langage plus précoce que les garçons.

Donc cela met en évidence que plus les enfants ont la possibilité de jouer à une variété de jouets extrêmement large, plus ils vont développer de compétences différentes qui vont leur être utiles pour leur futur.

C’est la même chose au niveau du sport

Et puis je parlais avant des jouets type Lego technics qui vont permettre de développer des compétences en géométrie, mais c’est la même chose avec le sport. Si vous pensez à ces sports comme le foot, un enfant qui va jouer au foot, ça va lui permettre aussi de développer ces compétences. Parce qu’il va se retrouver dans un espace en trois dimensions – donc un terrain de foot – et pour pouvoir jouer à ce jeu, en permanence, il va devoir analyser où se trouvent les camarades de sa propre équipe, où se trouvent les camarades qui sont dans l’équipe adverse et où est le ballon. Et ça, c’est des analyses qui sont faites dans un espace en trois dimensions. Donc du coup, ça va développer un certain type de connexions neuronales qui elles-mêmes vont être utiles pour faire de la géométrie.

Sans en avoir conscience, on encourage les enfants à utiliser les jouets ou à pratiquer les sports étiquetés de leur sexe

– Et pour en revenir à ce qu’on disait aussi dans la 1ère partie, ce qui est terrible, c’est que finalement, par notre attitude, on va sans s’en rendre compte encourager ces cloisonnements-là. J’ai vu par exemple que si notre garçon veut jouer avec une poupée va essayer de l’en décourager de manière plus ou moins directe, sans évidemment en avoir la moindre conscience. Est-ce que vous pouvez développer un petit peu les recherches qui ont été faites dans ce sens-là ?

– Mais vous avez tout à fait raison, c’est aussi en lien avec ce que je disais avant. Donc c’est cette peur liée à l’homosexualité chez le garçon. En fait c’est des encouragements et des découragements différenciés qui vont avoir lieu face à l’enfant qui fait quelque chose qui est étiqueté du sexe opposé. C’est-à-dire que si dans la ludothèque le garçon dit « Waouh ! J’aimerais bien emprunter ce poupon ! », et bien le parent ne va pas forcément lui dire « Non je ne veux pas. » ou « Non, je t’interdis », ou « Non, t’as pas le droit de jouer à la poupée », mais ça va être beaucoup plus subtil que ça. Le parent va ignorer la demande de l’enfant, c’est-à-dire qu’il ne va pas rebondir sur la demande de l’enfant, mais va tourner la tête et va regarder un autre rayon puis va dire « Waouh ! T’as vu ce magnifique camion de pompiers ? Tu voudrais pas plutôt emprunter ça ? » Et du coup, l’enfant, parce qu’il va comprendre que ce soit au son de la voix ou bien que ce soit le fait qu’il ne soit pas encouragé positivement, il comprendre qu’il est découragé à utiliser tel ou tel type de jeu ou à faire tel ou tel type de sport. Et la plupart du temps, les parents n’ont même pas forcément conscience de ce qu’ils sont en train de faire.

Nos interactions avec les filles et les garçons sont également différentes, sans qu’on en ait conscience

Là, c’est un exemple du côté du garçon qui peut pas jouer à la poupée, mais vous avez les exemples : « Pleure pas, t’es un garçon ! ». Là aussi, une petite fille, si elle arrive à la crèche et qu’elle pleure, très souvent les éducateurs, éducatrices vont la prendre dans les bras pour la consoler, etc. Alors que le garçon, ça va être « Ben non ! Pleure pas ! T’es un garçon ! Sois fort ! » Donc il y a aussi cette idée qu’on ne doit pas montrer les émotions quand on est un garçon, alors on a le droit de les montrer quand on est une fille.

Et puis c’est aussi tout un autre pont de cette socialisation différenciée qui pour le coup va péjorer les garçons. Les recherches mettent en évidence que les expressions faciales des mères sont beaucoup plus variées face à leurs filles plutôt que face à leurs fils, sans qu’elles en ait conscience là aussi. Donc les filles vont apprendre à décoder des expressions faciales beaucoup plus différentes que les garçons. Et puis les parents vont beaucoup plus verbaliser des choses en lien avec les émotions avec leurs filles. Du style : « Comment tu te sens ? » « Qu’est-ce qui ne va pas ? », etc. Donc les filles vont apprendre à mettre des mots sur leurs émotions, chose qui va être nettement moins fréquente chez les garçons. Du côté des garçons, c’est ce que j’ai dit avant : « Pleure pas ! T’es un garçon ! »

– Mmm. Et on va aussi, de manière inconsciente bien sûr, mais quand même encourager les filles à rester sages, à ne pas faire trop de bruit, à ne pas trop bouger, etc.

– Voilà, tout-à-fait, c’est clair. C’est moins fort chez les filles que chez les garçons, mais bien entendu que c’est là aussi. Et puis, même si vous regardez les vêtements qui sont proposés dans les « rayons filles » par rapport aux « rayons garçons », c’est sûr qu’avec une robe à volants, on va moins être tentée d’aller grimper aux arbres, ou alors on va s’attirer beaucoup plus de remarques si on revient avec une robe trouée ou salie que si on revient avec un jean qui est abîmé. Donc c’est toute une série de deux petites choses qui vont faire effectivement que la fille on va beaucoup moins l’inciter à être active et puis à oser simplement faire preuve de témérité.

Mais les choses semblent évoluer lentement

– Je constate quand même qu’il y a une petite évolution notamment si on regarde les dessins animés Walt Disney par exemple. Avant, les héroïnes c’était Blanche Neige ou la Belle au Bois Dormant qui étaient juste passives. Et aujourd’hui, elles ont quand même du caractère ! Je pense par exemple à la Reine Des Neiges, Vaiana, Raiponce. Mais il faut quand même qu’elles restent belles et bien habillées. C’est vrai que si on fait attention à leurs apparences, elles ont des corps dans des proportions impossibles. C’est vraiment des poupées Barbie. Elles ont des yeux énormes, des poignets très fins. Elles sont super maquillées. Elles ont des robes de princesse. Voilà, il faut quand même qu’elles restent belles !

– Ah mais oui. C’est exactement ça. C’est-à-dire qu’il y a vraiment de multiples indices, que ce soit en terme de dessins animés, de jouets, d’habits, qui vont axer la fille sur l’aspect esthétique : esthétique corporelle, etc. Par rapport aux garçons ou là, ça va être avec beaucoup plus axé sur l’aspect activités que l’on peut que l’on peut avoir. Donc vous avez entièrement raison : les modèles qu’on continue de proposer aux filles et aux garçons sont toujours extrêmement stéréotypés, même si quelque part les choses changent un peu. C’est-à-dire que oui, ce n’est plus La Belle au Bois Dormant qui attend d’être réveillée par son prince 100 ans plus tard, mais néanmoins on continue. Enfin, si on continue sur les dessins animés de Disney, si vous regardez une fille qui a pu avoir un comportement très actif c’est Mulan, mais elle a pu le faire parce qu’elle était sous les traits d’un garçon par exemple. C’est-à-dire que, même s’il y a eu des progrès qui ont été faits, les stéréotypes malgré tout continuent d’être présents. On n’ouvre pas complètement les possibles du genre aux filles et aux garçons.

Comment faire pour que notre fille ne se préoccupe pas seulement d’être belle ?

– Alors comment on peut faire si on est parent d’une petite fille qui est en plein dans cette période dont on a parlé dans l’épisode précédent, où elle a vraiment besoin de montrer à tout le monde que c’est une petite fille. Et donc, pour elle, ça va vraiment être important d’être belle, d’avoir une jolie robe, d’être bien habillée. Comment est-ce qu’on peut faire pour l’aider à ouvrir un peu cette vision fermée qu’elle a de la féminité et pour qu’elle comprenne que c’est pas juste « sois belle et tais-toi ! », mais qu’elle a aussi plein d’autres compétences à développer ?

– Ben en fait c’est lui proposer des contre-modèles. Bien sûr, on ne va pas lui interdire, c’est évident que non. Mais, dans la littérature enfantine, bon alors, il continue d’y avoir des livres horriblement stéréotypés, mais heureusement, il y a des catégories de livres qui sont extrêmement novateurs, qui proposent des modèles très diversifiés aux enfants, que ce soit des filles comme des garçons. Vous allez voir des modèles de filles qui, même si elles restent princesses, sont extrêmement actives, n’ont pas peur de se salir, etc. Donc c’est vraiment en proposant d’autres modèles aux filles qu’elles vont percevoir que leur existence ne dépend pas du fait d’être systématiquement bien coiffée et habillée avec une robe de princesse. Parce que, si les filles ont envie d’être habillées avec une robe de princesse, c’est parce qu’elles ont vu pléthore de modèles de filles de cette manière-là. Plus on va leur proposer de contre-modèles, plus elles auront envie de s’identifier à autre chose et d’essayer autre chose.

Proposer aux enfants de la littérature jeunesse non sexiste

– J’ai vu justement que vous aviez co-créé une association au sein de laquelle vous avez listé différents albums pour enfants, qui vont finalement à l’encontre de ce qu’on voit habituellement au niveau des stéréotypes homme – femme dans la littérature pour enfants. Je mettrai le lien vers ce document et un autre dans la description de cet épisode.
300 albums attentifs aux potentiels féminins
Littérature jeunesse non sexiste
Est-ce que vous avez envie d’en dire quelques mots ?

– Alors oui. J’avais vraiment fait beaucoup de recherches. Oh là ! Mais ça une bonne vingtaine d’années ! En fait c’est comme ça que je me suis intéressée à la question de la socialisation différenciée, c’est à travers la littérature enfantine.

Et pour la petite histoire, avec le souvenir que j’avais des livres que je lisais quand j’étais petite, après ma thèse, j’étais persuadée que la littérature enfantine avait évolué, et qu’il y avait d’autres types de modèles qui étaient proposés aux enfants. Donc du coup, j’ai fait pléthore de recherches sur la littérature enfantine dans le but de montrer qu’elle avait évolué. Et puis alors là, quand j’ai vu les résultats des recherches, j’ai vraiment déchanté !
Je me suis rendu compte que, oui la littérature enfantine a évolué de par le style du graphisme, du dessin etc., qui sont beaucoup plus modernes. Ou alors avec le fait qu’on a maintenant des livres avec des languettes qui se tirent, des livres – jeux, ou alors des trucs avec des scratchs, etc., qui donnent cette impression de modernité.
Mais dans le fond au niveau du contenu, on continue d’être ultra stéréotypés. Donc voyant ça, et connaissant l’influence que ça a sur les enfants, et le fait que c’est important de proposer des modèles qui ouvrent vraiment les possibles du genre aux enfants, et bien avec Christine Keim, on a co-fondé l’association Lab-elle, dans le but de mettre en évidence des ouvrages qui permettent aux filles et aux garçons de se projeter dans un futur qui contient peu de stéréotypes de genre, vraiment pour leur ouvrir les possibles, pour qu’ils puissent s’imaginer faire plein de choses dans leur futur.
Et pendant plusieurs années, on a labellisé des ouvrages.
Et puis on a aussi créé un double prix littéraire, puisqu’il y avait à la fois un jury d’adultes et un jury d’enfants, et c’était la possibilité pour plein de classes en Suisse Romande (parce que c’est une association qui était basé en Suisse), donc la possibilité pour plein de classes de lire ces ouvrages. Donc en lisant ces ouvrages, déjà, ça veut dire qu’ils avaient accès à des modèles positifs peu stéréotypés, de filles et de garçons. Et puis, ils pouvaient élire leur livre préféré. Le prix était décerné au salon du livre à Genève chaque année, et ce qui était extrêmement intéressant, c’était de constater que les enfants et les adultes n’élisaient pas les mêmes ouvrages. Parce qu’on leur proposait la même la même sélection de dix ouvrages, mais les adultes étaient beaucoup plus politiquement corrects dans leurs sélections d’ouvrages, alors que pour les enfants, eux, cet aspect politiquement correct, c’était pas du tout un critère prégnant. Je me souviens par exemple d’un ouvrage où c’était la princesse et le dragon. Et on voyait justement une princesse qui allait terrasser le dragon pour aller sauver son prince charmant. Et ça déconstruisait les stéréotypes de genre et les gosses avaient juste adoré cet ouvrage. Ou alors un autre ouvrage, mince je ne me souviens plus du titre, mais c’était un coq et quatre poules. Et en fait à la fin, les poules réclamaient l’égalité. C’est un peu comme l’histoire d’obtenir l’égalité avec un coq et des poules. Et les enfants avaient adoré cette histoire ! Justement, ça leur faisait comprendre à quel point notre société n’est pas forcément égalitaire, mais que si on veut, on peut. Et quand je dis si on veut, c’est de tous les côtés. Parce que, pour un garçon, se dire « ben non, moi dans le futur ce que j’aimerais être, c’est éducateur de la petite enfance ! » par exemple, c’est pas forcément facile non plus parce qu’il va pas forcément être bien accepté après dans la vie professionnelle.

À quoi faire attention au quotidien dans nos attitudes en tant que parent qui élève une petite fille ?

– Alors maintenant si je suis maman d’une petite fille par exemple, donc j’ai bien compris qu’il fallait au maximum ouvrir les modèles que je pourrais lui présenter notamment au travers de la littérature ou des jouets, mais plus au niveau de mon comportement ou de l’attitude que je vais avoir vis-à-vis d’elle, à quoi est-ce qu’il faudrait que je fasse attention pour essayer d’aller justement au-delà de ces stéréotypes ?

– Ben par exemple, une fille on va plus avoir tendance à lui dire « ma belle ». Et du coup, là aussi on va la centrer sur l’aspect esthétique !

Faire des sports d’équipe pour les filles, c’est quelque chose qui est vraiment utile et important. Ou alors faire de la compétition à travers des sports d’équipe, c’est quelque chose qui est utile pour la confiance qu’on a en soi.

Ce qu’il faut savoir c’est que la confiance en soi se construit à travers des modèles positifs et valorisés d’individus de son propre sexe. Donc effectivement, à travers la littérature enfantine, les dessins animés ou même par rapport à ce qu’on va lui montrer comme exemple de ce qu’on est capable de faire soi-même en tant que maman. Oui lui montrer, lui expliquer. À partir d’un moment donné, on peut aussi expliquer aux enfants comment la société a évolué.

Et puis oui, j’aimerais revenir sur l’aspect du sport d’équipe. Parce que, quand on fait un sport d’équipe, la plupart du temps, il va y avoir une compétition. Et dans cette compétition, un coup on va gagner, un coup on va perdre. Donc le fait d’être confronté à un échec ne va pas avoir un effet dévastateur sur l’estime de soi parce qu’on va souvent avoir un échec, on va souvent perdre. Un coup on gagne, un coup on perd, si on pense aux enfants qui font du foot par exemple. Parce que, même pendant les entraînements, à la fin on va partager les enfants en deux et puis il y aura un match pour de faux, mais il y en a qui vont gagner et il y en a qui vont perdre.

Alors que si on regarde les sports qui sont plutôt étiquetés « sports de filles » – si je dis étiqueté « sports de filles » c’est-à-dire des sports qui statistiquement parlant sont plus souvent faits par des filles – si vous pensez à la danse, la gymnastique, etc. Déjà il n’y aura pas beaucoup de compétitions, puis quand il y aura de la compétition, ça va plutôt être l’idée de se dépasser soi-même, donc par exemple de passer son test 1, test 2, etc. Et les entraîneurs ne vont pas proposer à l’enfant de passer son test s’ils sont pas sûr qu’elles le réussissent. Donc du coup, les filles vont être beaucoup moins souvent confrontées à la notion d’échec durant l’enfance à travers le monde sportif.

Donc du coup, à l’âge adulte, par exemple, quand on postule pour un job, il y aura une personne qui va obtenir le job. Et pour tous ceux ou toutes celles qui auront postulé mais pas obtenu le job, ça peut être perçu comme un échec. Cette perception de l’échec sera beaucoup plus dévastatrice et importante côté filles que côté garçons. Parce que les garçons, eux, auront été habitués à l’échec depuis leur enfance. Et dévastateur pour les filles par rapport à l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes. Et puis du coup après ça va être « non je vais pas essayer de faire ça », par crainte d’être confrontée à un échec. Alors que le fait justement de faire des sports d’équipe, c’est se confronter à l’autre. Et puis c’est le fait que oui, un coup on perd, un coup on gagne. Mais du coup c’est quelque chose qui a beaucoup moins d’importance.

– D’accord. Et du coup puisqu’on éduque les filles moins dans la compétition que les garçons, j’imagine que ça peut avoir une influence plus tard, notamment par rapport au plafond de verre que les femmes ont du mal à briser au niveau professionnel. Donc si je suis maman d’une petite fille, est-ce que je peux faire quelque chose pour l’accompagner dès toute petite et éviter ça ?

– Oui tout à fait, ce qui est important c’est d’oser et d’essayer. Et du coup, si on a pu faire ça durant l’enfance et qu’en terme d’estime de soi, le fait de ne pas avoir réussi n’a pas un impact négatif sur l’estime qu’on a de soi-même, c’est quelque chose qui est tout bénéfique pour l’avenir professionnel. Ça c’est clair.

À quoi faire attention au quotidien dans nos attitudes en tant que parent qui élève un petit garçon ?

Mais là vous parliez du côté des filles, maintenant on peut aussi se dire que du côté des garçons, c’est le contraire. C’est aussi proposer aux garçons des modèles où il va y avoir cette notion de coopération et puis cette notion associée aux émotions.

En fait, ce qui est important c’est que filles comme garçons puissent expérimenter plein de choses différentes. Et des choses qui sont entre guillemets étiquetées filles et étiquetées garçons. Donc quand je dis étiquetées filles ou étiquetées garçons, c’est-à-dire qui, dans notre société, sont plus souvent proposées aux unes par rapport aux autres. Et en fait c’est dans cette diversité de comportements, d’expérimentations différentes que les filles et les garçons auront pu avoir durant l’enfance qu’ils vont vraiment développer des compétences extrêmement diverses qui vont leur être utiles dans leur avenir professionnel comme dans leur avenir privé.

Parce que c’est ça aussi, c’est que, comment dire, la société formate plutôt les garçons à avoir un futur professionnel et puis les filles à avoir un futur dans la vie privée. Si on pense qu’un petit garçon, on va lui dire « non, ne joue pas à la poupée, c’est pas pour les garçons ! » Mais par contre, le petit garçon une fois qu’il est devenu adulte et papa, on a envie que cet homme s’investisse auprès de son enfant, lui change sa couche, lui donne le bain et puis l’emmène à la crèche. Et du coup, on voit qu’il y a vraiment un décalage là aussi ! C’est-à-dire qu’enfant, il n’aura pas eu le doit de jouer à la poupée, par contre, à l’âge adulte, on aimerait bien qu’il s’occupe de ses propres enfants ! Donc c’est tout cet aspect-là qui est à mettre en perspective et à penser. Vraiment essayer de réfléchir quand on dirait à un enfant « non, fais pas ça », parce que, spontanément lui dit ça, ou bien on fronce les sourcils quand le garçon dit qu’il aimerait faire de la danse classique ou ce genre de choses, et se dire, mais dans le fond, pourquoi pas ? Qu’est-ce que ça peut lui amener comme expérience positive pour sa construction d’individu, pour son futur, que ce soit son futur dans sa vie privée ou bien dans sa vie professionnelle.

– Oui j’allais venir justement au petit garçon. Donc maintenant si je suis maman d’un petit garçon, à quoi est-ce que je dois faire attention au quotidien dans mon comportement, dans mon attitude pour éviter ces stéréotypes-là ?

– Bon alors, il y a vraiment l’aspect des émotions. C’est important que les garçons puissent aussi verbaliser ces aspects liés aux émotions. Parce que si vous regardez les objets qui sont proposés aux garçons, que ce soit dans les magasins de jouets ou bien c’est encore plus prégnant au niveau de la publicité, vous verrez à quel point on est dans un monde de destruction, dans un monde de guerre, dans un monde de compétition et beaucoup moins dans un monde de collaboration. Et pour la vie future, je ne suis pas persuadée que la destruction ou se battre contre l’autre, ce soit systématiquement positif. Parfois collaborer avec l’autre, ça peut être aussi quelque chose de tout à fait utile et positif.

Et puis d’être capable de mettre des mots sur ses émotions, de les verbaliser, d’être capable de dire comment on se sent, comment on aimerait que ce soit… Parce que, au niveau des hommes et des femmes, c’est souvent un manque de communication qu’on va constater à l’âge adulte. Mais simplement parce les garçons n’ont pas été élevés pareil. Ils n’ont pas eu l’habitude d’être confrontés aux émotions.

Si on regarde les statistiques par rapport aux présences de garçons et filles dans les cabinets de psys durant l’enfance, on va voir que c’est beaucoup plus des garçons qu’on va emmener consulter plutôt que des filles. Mais plutôt en lien avec des problèmes de comportement. Parce que le garçon dérange, donc on va l’emmener consulter parce que son comportement n’est pas forcément adéquat, qu’il est agressif ou ce genre de choses. Donc ça c’est à un âge où ce n’est pas l’enfant qui fait le choix d’aller consulter. C’est l’enseignant qui va demander aux parents d’emmener leur enfant. Ou bien alors c’est les parents qui n’en peuvent plus avec leurs enfants et consultent.
Si on regarde ces mêmes statistiques par rapport au monde de l’adolescence, ce qu’on va observer, c’est que ça va être beaucoup plus une population de jeunes filles, de jeunes femmes, d’adolescentes, qui vont choisir de consulter. Parce qu’elles éprouvent en mal-être. Donc de verbaliser leur mal-être chez un psy. Alors que les cabinets de psys pour cet âge-là vont plutôt être désertés par les garçons. Parce que, eux, ils auront perçu que verbaliser son émotion, c’est un truc de filles. Donc c’est pas un truc qui est destiné aux garçons.

Et puis, il y a un truc alors là totalement dramatique qu’on peut observer dans les statistiques, c’est que si on regarde quelle est la première cause de mortalité chez les adolescents, on va constater que c’est le suicide. Donc ça c’est dans nos sociétés occidentales. Mais si on regarde à travers des lunettes genre, on va voir que c’est la première cause de mortalité chez les adolescents de sexe masculin, mais pas chez les adolescentes. Ça veut pas dire qu’elles ne sont pas touchées par la problématique suicidaire. Il y a plus de tentatives de suicide chez les filles et puis de suicides entre guillemets « réussis » chez les garçons, donc de suicides qui amènent à la mort.
Oui parce qu’à un moment où il y a un mal-être comme souvent à l’adolescence pour les garçons, aller consulter simplement, aller exprimer ce qui ne va pas, c’est plutôt perçu comme étant quelque chose destiné au sexe opposé. Donc du coup ils vont pas le faire.

Donc on voit que cette socialisation différenciée durant l’enfance a vraiment des implications qui peuvent être tout à fait dramatiques plus tard.

Comment trouver ne pas perdre son naturel quand on éduque son enfant tout en étant attentif aux stéréotypes de genre ?

– Alors maintenant, le fait d’être conscient de tout ça, est-ce que le fait de vouloir justement enrayer ces stéréotypes, ça ne risque pas de faire qu’on pourrait tomber dans un excès inverse ? À la fois perdre un peu notre naturel, et en même temps ne pas réussir à trouver un juste milieu, et peut-être être un peu trop extrémiste dans l’autre sens ? Je veux dire presque éduquer notre petit garçon comme une petite fille et notre petite fille comme un petit garçon ? Comment est-ce qu’on peut trouver ce juste milieu ?

– En fait, c’est sûr que c’est difficile. C’est-à-dire que c’est plus facile si on a pu y penser avant. Parce que dans nos représentations, on imagine vraiment que notre société dans l’enfance est égalitaire par rapport aux filles et aux garçons. Donc l’idéal, c’est vraiment d’avoir pu y réfléchir avant et de se dire « Bah ouais, dans le fond, il n’y a aucune raison que je dise à mon fils « Pleure pas, t’es un garçon ! ». Il n’y a aucune raison que je prenne dans mes bras ma fille et pas mon fils. Donc si on a pu y réfléchir avant, c’est quelque chose qui est beaucoup plus facile après.

Maintenant je suis pas du tout en train de dire qu’il faut demander à chaque enfant de ne faire que des trucs étiquetés du sexe opposé. Ce que je dis en fait c’est que, pour l’enfant, c’est quelque chose d’extrêmement bénéfique que d’avoir eu accès à pléthore de modèles différents et à pléthore d’activités différentes. Indépendamment du fait que, dans nos sociétés, ces modèles ou ces activités soient étiquetés d’un sexe ou bien dans l’autre. C’est ça en fait. L’idée, c’est pas de transformer l’enfant en un enfant du sexe opposé ou de faire en sorte qu’ils fassent que des trucs du sexe opposé. Pas du tout. Mais simplement, de lui montrer des modèles extrêmement différents et le moins possible de stéréotypes de genres.

Garder en mémoire que c’est toute la société qui éduque notre enfant

– C’est super intéressant. Ok, on arrive à la fin de cette interview. J’ai à peu près posé toutes les questions que je voulais, mais peut-être qu’il y a des sujets qu’on n’a pas abordés dont vous vouliez parler ? Ou une question que je ne vous ai pas posé à laquelle vous auriez voulu répondre ?

– Non, il me semble qu’on a fait passablement le tour : jouets, sports, habits, livres…

Peut-être que ce qu’il faut rajouter, c’est qu’en tant que parents, on n’est vraiment pas les seuls à éduquer notre enfant ou nos enfants. C’est la société tout entière qui socialise nos enfants, qui éduque nos enfants. Nous, on a juste une petite part là-dedans. Donc même si on fait le plus de choses possibles, après il y a l’école qui va prendre le relais, les copains qui vont prendre le relais… C’est ça aussi. On n’est pas les seuls à avoir une influence. J’ai donné beaucoup de conférences, je me souviens de parents qui me disaient « Mais pourquoi mon enfant a cette attitude stéréotypée ? Pourtant chez nous, on n’a pas la télé, il peut pas regarder la télé. Je fais attention aux livres qu’on lui offre, etc. » Mais non ! Il y a vraiment tout le reste qui va aussi éduquer les enfants, la société tout entière va éduquer les enfants.

Donc c’est aussi pour déculpabiliser un peu les parents.

Garder à l’esprit que le fait qu’un enfant adopte des comportements stéréotypés est une étape de son développement

– D’accord, effectivement, c’est important de se déculpabiliser aussi. Et pour conclure qu’est-ce que vous auriez envie qu’on retienne de cet entretien ?

– Je pense que, ce qui est vraiment important, que ce soit pour les parents, les professionnels de l’enfance ou bien les adultes, c’est vraiment de savoir, de comprendre comment se construit l’identité sexuée chez les enfants. Que pour un enfant, d’abord, au début dans leur vie, ce sont les indices socio-culturels qui font le sexe. Et c’est seulement vers l’âge de 5-7 ans que l’enfant a compris que c’était la biologie, la génétique, qui faisait qu’on était un garçon ou une fille. Et c’est à cause de ça qu’effectivement, à un moment donné, les enfants vont adopter des comportements extrêmement stéréotypés. Du coup, à partir du moment où on a compris ça, on ne va pas être dans la logique de dire « Ah ouais mais les enfants de toutes façons, c’est des êtres ultra-stéréotypés dès l’âge de 3-4 ans, ça veut dire que c’est inscrit dans leurs gènes, donc ça veut dire qu’il faut surtout pas leur proposer des contre-modèles. Ça veut dire que, vu que eux sont stéréotypés et ben tant qu’à faire, on va leur proposer que des choses stéréotypées. » Parce que ça, ce développement de l’enfant, franchement, il n’est pas expliqué dans beaucoup d’endroits. Donc c’est ça qu’il serait bien que les gens retiennent.

– D’accord. C’est vrai que c’est important parce qu’on n’a pas forcément ça en tête.

– On ne le sait pas. Simplement on ne le sait pas. Et puis même au niveau des enseignants, c’est pas forcément quelque chose qu’on sait, qu’ils ont appris dans le cadre de leur cursus professionnel.

Pour aller plus loin

– D’accord. Merci beaucoup pour cette interview. C’était vraiment super intéressant. Je crois que vous avez écrit un livre si on veut en savoir un peu plus sur le sujet ?

– Oui tout à fait. J’avais publié un ouvrage qui s’appelait « Filles – garçons : socialisation différenciée ? ».  C’est paru aux Presses Universitaires de Grenoble. Au fait, il y a une chose que j’aimerais rajouter. C’est que, oui il y a cet ouvrage qui a été publié, mais qui est assez… enfin bon, c’est quand même un ouvrage universitaire de 300 pages etc.

Et du coup, quand on a arrêté l’association Lab-elle, on a créé un site Internet qui s’appelle aussi.ch, pour dire les garçons aussi, les filles aussi peuvent faire tout ce qu’ils veulent, tout ce qu’elles veulent. Et pendant 20 ans, j’ai donné des cours, j’ai donné des conférences et j’ai tout le temps été confrontée aux mêmes questions qui me venaient de l’auditoire. Donc du coup, là, j’ai voulu prendre le problème dans l’autre sens, c’est-à-dire que j’ai compilé toutes ces questions et je leur ai donné une réponse extrêmement vulgarisée, extrêmement simple dans ce site Internet, avec aussi une double lecture, c’est-à-dire qu’il y a aussi des réponses qui sont plus fouillées, c’est-à-dire qu’il y a toutes les références de recherches sur lesquelles on peut s’appuyer pour comprendre les réponses. Donc bien-sûr qu’on peut aller voir dans l’ouvrage universitaire si on est intéressé, c’est clair. Mais je pense que selon les questions qu’on se pose à un moment donné ou autre de notre vie, aller voir ce site Internet aussi.ch, ça peut peut-être être plus déjà plus facile d’accès. Parce que c’est plus court pour donner des réponses. Voilà, c’est peut-être ça en fait que j’ai envie de rajouter.

– Super ! Merci encore pour cet échange.

– Avec plaisir.

– J’ai appris plein de chos

– Bah merci à vous d’être le relai parce que s’il n’y a pas de relai pour expliquer toutes ces choses aux parents, c’est sûr qu’on peut faire plein de recherches, si elles restent dans un tiroir, ça sert à rien. Donc merci à vous. Merci à votre travail.